"Intik" ? Comprendre : "ça baigne" en argot algérois. Là bas, quand on dit, "bonjour, ça va ?", on répond "Intik". Comme à force de voir les siens se massacrer, on finit par ne plus vraiment y croire, c'est l'intonation qui compte. "Intik !". Ou alors faut-il comprendre : "ça baigne dans le sang." "Intik" ? "L'Algérie coule mon ami, comme un bateau en détresse." Car Intik est né dans les décombres de la guerre civile algérienne, un 5 octobre funeste : "Je ne pourrai jamais oublier ce jour-là/ c'est le moment de comprendre ça." Volonté de labourer ces neufs ans passés à dépasser la barbarie.
Le premier titre de l'album (éponyme) rappelle sans concession l'histoire de ces quatre algérois de vingt ans (comment peut-on avoir vingt ans à Alger ?). Récit de galères, manifeste de rappeurs, engagement à la vie à la mort : "L'esprit du hip hop/ non stop/ était déjà là/ les balles délogées/ les textes arrachés/ le terrain miné/ Intik a pu esquiver/ passer au travers des filets/ au fil des années, le caractère s'est forgé/ Un seul repère, un seul objectif/ même si tous nos proches/ nous disaient/ danser avec les loups, faut être fou ou quoi ?".
Intik, par obligation, baigne dans son temps. Est né engagé et compte bien le rester, même embarqué de l'autre côté de la Méditerranée, à l'invitation d'Imothep, l'âme musicale d'IAM. Ce premier album est un brûlot, qui, sous couvert de rap cool mélangé de reggae, raï et chaâbi, décrit sans concession le quotidien de là-bas. Le tubesque "Va le dire à ta mère", au refrain entêtant, au rythme si tranquille qu'une oreille distraite pourrait confondre avec les raps largement dépolitisés dont nous abreuve Skyrock, est l'un des plus réalistes de l'album : "Je parle des enfants qui ont été calcinés/et de mes sœurs qui ont été violées."
Intik reporter de guerre raconte la corruption, le couvre-feu, la haine, les potes qui tombent, les bombes qui explosent. De chaque titre ("on est où là", "l'injustice", "la jungle", "les disparus"…) suinte l'écœureme devant ce que les salauds ont fait de ce pays, devant cette barbarie si profitable aux puissants. Intik rageur reporter rappelle Y. B., l'insolent auteur de chroniques algériennes parues en France il y a deux ans sous le titre "Comme il a dit lui" (aux éditions J.C. Lattès). Y.B. écrivait d'ailleurs : "Tout va bien, tout va mal, donc tout s'annule." Intik.
Écœuré, mais battant, car excessivement lucide ("nous on sait qui est qui"), Intik frappe dur, et mord sans peur : "Stop, ça suffit/ finie, la tragi-comédie !/ Finis, les crâneurs !/ Aujourd'hui on n'attend plus rien d'eux/ Ni contrôleurs, ni préfets, ni maires/ Si entre nous on ne peut plus s'aider/ si on ne bouge pas la main dans la main/ on finira au fond d'un puits, c'est certain/ Et on ne pourra plus rien y faire". (S'il n'était indécent de comparer aujourd'hui la France à l'Algérie, on dirait que ces paroles valent partout. - Dites-moi, est-ce vraiment indécent ?). Faudra voir ce que devient la "concorde civile" décidée par le nouveau pouvoir algérien. Mais si l'espoir s'éteint, si le bout du tunnel n'est pas encore atteint, Intik, qui a eu le courage de dire "qui est qui", risque de ne pas pouvoir retourner demain en Algérie. Bonne chance, amis de la Résistance.
Sylvain Marcelli
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