jeudi 24 avril 2008

Naili / Le peuple orphelin.


Il est de ces artistes qui passent inaperçus dans leur propre territoire alors qu’ils bénéficient d’une couverture médiatique plus consistante sous d’autres cieux. Nos journaleux commencent-ils à se désintéresser du rap algérien qui leur permettait de remplir un coin de leurs pages destinées à la culture algérienne ?
A moins d’avoir un présentateur de radio comme manager (hum !), il est fort pénible de percer au delà de certains cercles « businessement » parlant, mais y’aura toujours un connard comme moi pour mettre en avant la face cachée de cette musique à travers ses chroniques…

« je n’ai pas peur des hommes ni du mauvais œil, ce qui est écrit arrivera » -

De l’ego trip à l’humour grinçant en passant par des sujets plus sérieux, Naili, rappeur originaire de Djelfa et issu de l’immigration maghrébine n’en est pas à son premier produit sur le marché puisque « Le Peuple Orphelin » est dans la continuité de son 1er opus « Destin ou Malédiction ? » : sortie confidentielle rangée aux oubliettes comme grand nombre d’albums n’ayant pas joui d’un bonne distribution.
Ayant quitté l’Algérie après s’y être installé pendant quelques années, Naili le fils du désert a pris le temps d’enrichir sa diction et établir de bonnes connections musicales avec quelques artistes qui ont judicieusement ajouté leur pierre à l’édifice de ce 19 titres réalisé en auto production et mastérisé à New York par Monsieur Dave Kutch.

Alors…« Le Peuple Orphelin » , un CD de plus dans le paysage décidément douteux de la musique algérienne actuelle ? on y arrive…

Produit par Diez, acolyte sonore de Naili et soutenu par Dj Morad aux platines (et qui a également produit le morceau du même titre que l’album), la première qualité de cet album est sans doute sa cohérence, car au lieu de nous refourguer un enchaînement de titres sans rapport l’un avec l’autre, Naili a fait preuve d’une bonne "scénarisation" et pour preuve ! Le personnage de « Hadj El Festey », intelligemment trouvé et apparaissant épisodiquement sert de nœud temporel durant toute la durée de la galette.
El Festey symbolise toute cette horde de requins opportunistes qui sévissent depuis l’indépendance et qui passent du coq à l’âne pour un seul but : l’argent.
El Festey, ex-campagnard éleveur de vaches, passe ses nuits dans les cabarets malfamés en compagnie d’une maîtresse à la fleur de l’age qui lui fait gommer de sa p’tite cervelle l’image sa brave femme, Hadj El Festey est également membre du Front de Destruction National…

Autre atout majeur du « Peuple Orphelin » : la diversité des univers musicaux explorés… Très en vogue aux States, les boucles de Soul période 70’s (si chères à Just Blaze et Kayne West, Roc-A-Fella oblige !!!) n’ont pas laissé indifférent un Diez friand de cuivres/orgues/voix pitchées .
Des morceaux à l’image du Premieresque « Le fils du désert » ou « Peur de faire peur » en plus du dense « Hiphopment votre » ou le très Walt Disneyesque « Ce qui nous manque » font partie de cette mouvance mise au goût du jour grâce aux récents albums de Jay-Z, ce qui en dit long sur le penchant de Naili pour le rap américain à l'inverse des autres mc’s algériens résidant en France, notamment Intik qui étaient plus orientés « rap marseillais ».

Si la plupart des titres « ego trip » ou à thèmes universels ont pour support des instrus à influence US, les morceaux plus communautaires sont en revanche mis en avant par des sonorités arabes à l’image du surprenant « La Colère des Rebelles » , entièrement interprété en arabe classique : une expérimentation fort louable à saluer.

La tunisienne M’barka (venue prêter sa voix à Naili sur « L’absent » un hommage aux « kidnappés » du pouvoir) est l’une des invités aussi variés qu’imprévisibles de cette aventure rapologique, on notera également les groupes de rap Ekinox et Lumiéres Noires ou la formation de musique occitane Les Dupain qui apportent une touche plus « world music » au morceau à l'atmosphère hypnotique « l’Homme Seul ».

Textuellement, Naili a effectivement une bonne plume qui témoigne d’un personnage éclectique pouvant varier les thèmes et les ambiances sans s’égarer de sa ligne directrice et même si les clins d’œil à une Algérie mutilée fusent de partout, il a pu consacrer une partie de l’opus à des sujets empreints de positivité, d’amour pour le hip hop et d’humour maghrébin…il n’est donc pas étonnant de le voir incarner le candidat Hadj El Festey («Vote pour moi »), faire son mea culpa (« Pardon Maman ») et verser dans le paternalisme (« Ce qui nous manque ? »).

Alors…« Le Peuple Orphelin » , un vulgaire album de plus ? non… on sent que le bonhomme a consacré suffisamment de temps à l’élaboration d’un travail conceptualisé, musicalement coloré et riche en rencontres qui (pour une fois) n’ont pas servi à remplir le vide d’un couplet. Sans oublier l’excellent visuel de la pochette…

Est-ce là l’album parfait prédit par la prophétie des anciens ? malheureusement non… L’écriture respectable de Naili ne nous fait pas oublier ses maladresses techniques et même si son débit n’est pas tout à fait répétitif, plusieurs écoutes sont nécessaires pour que les partisans du « flow pointu » s’y habituent !
Si le commun des rappeurs algériens se plait à obéir au format du petit chaperon rouge vivant enfoui sous les décombres d’une Algérie démolie par de méchants loups sanguinaires, le fils du désert n’est pas une exception : chaos, désolation et « no future » sont encore au rendez-vous, ajoutez à ça les interminables références aux « politiciens » qui n’arrangent pas les choses, ce qui risque de laisser perplexe un public assoiffé de thèmes inédits…

Les productions orchestrés par Diez (certes méritantes au niveau du choix et du découpage des samples) auraient été de pures perles si elles n’avaient pas été « égratignées » par un mixage bancal, voire trop « fait maison ».
De plus, les oreilles initiés remarqueraient que les instrus teintés de Soul n’ont pas eu de « caisses » taillées sur mesure…trop grasses ? ouais. Dernier hic ! la longueur des interludes très vite lassantes fait qu’il est impossible d’écouter « Le Peuple Orphelin » d’un seul trait.

Quoi qu’il en soit, passer à coté de telles sorties serait se priver d’un bon moment de hip hop algérien.

NEO AMC

Tracklisting :

1. L’acompte
2. Fils du Désert
3. Insoumis
4. Peur de faire peur feat. Lumières Noires
5. Meeting
6. Vote pour Moi
7. L’absent feat. M’barka
8. Le peuple Orphelin
9. Hiphoppement votre feat. Ekinox
10. Sousou : Je m’attend
11. L’amour est mort
12. La colère des rebelles
13. Jarjara
14. Pardon maman
15. Un homme seul feat. Les Dupains
16. L’homme ou le temps ?
17. Une graine d’amour feat. Hobi
18. 2 frères feat. Samirtoukour
19. Ce qui nous manque ? feat. Laurence Giorgi

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